Dans le cadre de notre parcours Les quartiers d’art, Nicolas Tourte était en résidence au centre des arts plastiques le quARTier de Fresnes-sur-Escaut en octobre dernier. A cette occasion, deux œuvres nouvelles furent créées sur place avec un groupe d’habitantes de la commune. A compter du 18 novembre, celles-ci furent exposées pendant un mois au sein d’une large rétrospective consacrée au travail de l’artiste.
C’est une situation que tout le monde a déjà expérimentée. Soudain quelque chose se met à clignoter dans la tête en écho à ce qui vient de s’allumer dans les yeux. Ce « quelque chose » peut être un mot, une expression – pourquoi pas un titre de film ou de chanson -, qui s’impose spontanément à notre esprit à la vue de tout autre chose et qui résonne en nous. De fil en aiguille, voilà qu’idées et images s’enchainent entre elles et que ça se met à raisonner pour de bon. A s’immiscer, à évoquer, à susciter, à provoquer… Bien souvent on laisse filer ou l’on choisit de s’arrêter là, de mettre un terme à l’expérience. Peu nombreux sont ceux qui vont jusqu’à donner forme à ce qui s’apparente à une petite illumination, façon ampoule qui apparaît au dessus de la tête. Nicolas Tourte est de ceux-là.
Lorsqu’il regarde le monde qui l’entoure, comme lorsqu’il l’observe au travers des créations des artistes qui lui sont chers (on peut citer Warhol, Duchamp, Matta-Clark sans risque de trop se tromper), Nicolas Tourte met des mots sur ses impressions, sur ses sensations. Il nomme les choses non pas pour les dire ou les écrire mais pour les penser. Les penser comme le fait un artiste, comme le fait un poète peut-être, c’est-à-dire en images… Bien que manifestement plastique, sa démarche – ou plus simplement sa façon de voir, de faire – relève d’allers-retours sémantiques incessants entre images et mots, entre mots et images, comme en témoigne notamment le soin tout particulier qu’il apporte au choix des titres de ses œuvres.
C’est ainsi en poète-artiste qu’il se montre curieux des expériences et découvertes scientifiques, se penchant tour à tour sur la température de fusion du verre, le fonctionnement de la rétine ou encore les propriétés des trous noirs. Phénomènes physiques, biologiques ou astronomiques le passionnent et déclenchent en lui, par recoupements successifs (marabout, bout de ficelle), des intuitions esthétiques qui finissent par se concrétiser sous la forme d’installations alliant le plus souvent travail du bois et projection vidéo, ou encore diffusions sonores, photomontages et confection d’objets sculpturaux aussi ludiques que de nature à nous questionner sur notre relation à la réalité et à ses usages quotidiens (porte-manteau bicéphale, balais à angle droit, chaises à excroissances, tréteau à fessée…).
L’ensemble ressortit à la fois d’une démarche high-tech et d’une logique ouvertement artisanale, low-tech donc. L’univers de l’artiste témoigne en effet de son amour des matériaux naturels tel que le bois qu’il se plait à sculpter, à façonner, à polir avec grand soin dans la plus pure tradition de la menuiserie (cf. notamment la pièce intitulée « Les promesses de l’ombre »), autant que d’une aisance à manier les outils numériques tels que ceux mis à sa disposition par le FabLab situé au quARTier de Fresnes-sur-Escaut.
Si elle est une des caractéristiques matérielles principales de l’œuvre de Nicolas Tourte, ce curieux attelage d’artisanat et de technophilie joyeuse est également inhérent à son propos. Il y a en effet quelque chose du Georges Méliès des « Voyages à travers l’impossible » dans la volonté de l’artiste de jouer des leurres et autres effets d’optique, non pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes mais au contraire pour nous dévoiler ce qu’une simple lanterne peut avoir de proprement magique. Pour le dire autrement, l’œuvre de Nicolas Tourte révèle des pans entiers de notre réalité en même temps qu’elle fait apparaître les moyens mêmes par lesquels elle les donne à voir, lesquels participent pleinement de sa capacité d’enchantement.
Johan GRZELCZYK